LES ÉGYPTIENS ET LEURS MYTHES
Conférences de Dimitri Meeks- La Chaire du Louvre-Septembre/Octobre 2018

I-Les Égyptiens face au discours du monde- 27 septembre 2018

I- INTRODUCTION
Il convient tout d'abord de poser le cadre de ces conférences. Comment les Égyptiens ont-ils eux même pensé et vécu les mythes?
Le concept de mythe a été inventé par les Grecs donc bien après les Égyptiens et n'avait donc aucune signification pour eux.
Pour nous le terme de mythe renvoie à l'idée de fable non crédible, de récit fictif.
Pour Tolkien, les mythes ont une réalité: "Une certaine forme de réalité ne peut s'exprimer que par le mythe."
De quand datent les mythes? Ceci est impossible à fixer de façon scientifique bien que les préhistoriens aient leur propre idée.
Reprenons une image du film "La guerre du feu", celle de la rencontre de l'homme et du mammouth. On voit là la naissance concomitante du mythe et du rite.
En effet l'homme offre de l'herbe au mammouth, il s'agit d'un geste rituel, l'offrande est acceptée par l'animal.
Donc dès la Préhistoire il existe un embryon de mythe: il existe des forces qui gouvernent le monde et peuvent s'incarner dans quelque chose de concret comme un animal.
II- LES ORIGINES DE LA RELIGION ÉGYPTIENNE
Elles sont lointaines dans le temps et géographiquement parlant.
Il faut rappeler que la vallée du Nil n'a pas été habitable constamment car à une époque très reculée, le fleuve n'avait pas ses crues régulières.
* 6ème millénaire avant notre ère.
Sur le site du Gilf Kebir situé à 700 Km à l'ouest du Nil ont été découvertes des grottes ornées dans le Wadi Soura:
- Une grotte dite des animaux dans laquelle une représentation évoquerait celle de La Vache du Ciel.
- Une grotte dite des nageurs dans laquelle une représentation montre une certaine ressemblance avec la scène de La Course Royale.
* 4800 à 4200 avant notre ère
- Sur le site de Nabta Playa à 100 Km à l'ouest du Nil a été découvert un cercle mégalithique orienté vers l'étoile polaire, ce qui traduit un intérêt pour l'observation céleste.
- Sur le site proche de Gebel Ramlah, a été trouvé un Tilapia (poisson du Nil) en mica, donc il y a eu un contact direct avec la faune nilotique.
On peut en déduire qu'il y a eu un mouvement de la population en fonction des fluctuations climatiques.
Ainsi avant -8500, on observe une concentration de la population essentiellement dans la région soudanaise le long du Nil.
Entre -8500 et -7000, on trouve des habitats dispersés dans les oasis de l'ouest.
En -5000, le Nil a des crues plus régulières, la population revient sur le Nil essentiellement dans la partie sud (là où se jouent les racines profondes de la culture égyptienne) et quelques sites dans le delta.
* Principaux sites du 4ème millénaire
- Hiérakonpolis: ville d'où est originaire le faucon d'Horus. Plus au nord se trouve la ville de Seth, antagoniste d'Horus
. Tombe 100 de Hiérakonpolis (-3500 donc à la veille de l'unification de l'Égypte): une fresque montre comment les Égyptiens imaginaient leur vie. Sont figurés des embarcations, des animaux d'élevage et des animaux sauvages, des scènes de combat. On a retrouvé des animaux sauvages enterrés près des tombes des élites. Hiérakonpolis est l'origine de la royauté du sud.
. Masque de Hiérakonpolis trouvé par B.Adams dans un contexte funéraire. Il porte des orifices permettant de l'attacher.
On peut lui mettre en parallèle le fragment de masque du Louvre E25726.
- Merimde, site en contact avec les oasis libyques.
A été trouvée une tête qui devait être emmanchée sur un bâton, une sorte de fétiche donc et son rôle religieux paraît certain.
On a par conséquent des croyances, une théologie qui s'exprime par une iconographie préhistorique.
* Le passage vers l'iconographie pharaonique n'est pas discernable.
Le premier élément d'iconographie pharaonique est la gravure rupestre de Hamdulab (vers -3100 donc juste avant la période pharaonique).
On y voit un personnage royal avec une couronne blanche, une canne évoquant le sceptre héqa, un serviteur et des symboles provinciaux.
III- UN PEU DE VOCABULAIRE
* David Hume (1711-1776) est un philosophe écossais du siècle des Lumières. Il fut le premier à dire que le polythéisme est originel. Avant lui on pensait que le polythéisme était un dévoiement du monothéisme et donc le fait de "peuples sauvages".
* Netjer
Nous le traduisons par "dieu". Or le signe hiéroglyphique est un mât enveloppé de bandelettes d'où la notion de dieu est liée au domaine funéraire et au culte ancestral.
* djeser
Nous le traduisons par "sacré". Or le signe hiéroglyphique est un objet qu'on tient à distance, à bout de bras. Donc être dans le sacré c'est être mis à part.
IV- RITES ET MYTHES CONCOMMITTANTS
* Le domaine royal:
. Le roi offrant Maât au dieu (offrande qui apparaît à la XVIIIème dynastie): il s'agit du renouvellement de l'alliance entre le roi régnant donc la lignée terrestre et la lignée divine.
L'offrande est un échange car le roi reçoit d'Amon le symbole jubilaire.
. Le roi offrant l'onguent: on offre de la richesse au dieu pour avoir de la richesse en retour.
* Le domaine privé:
Le particulier n'a pas d'accès direct au temple.
. Processions hors du temple: les prêtres présentent le dieu auquel les fidèles adressent une prière.
. Parois extérieures du temple: c'est le point de contact avec la divinité. L'expression de la foi est plus simple et plus directe.
. Offrande de Maât: la piété privée se retrouve dans les pas du culte officiel. Pour cela il faut qu'il y ait une compréhension de la théologie par le fidèle.
. La transmission du savoir théologique se faisait des parents aux enfants au sein de la famille par transmission orale.
. Les ancêtres familiaux pouvaient apparaître sous deux aspects: l'ancêtre idéalisé et anonyme qu'on trouvait souvent dans l'entrée des maisons et l'ancêtre identifié par son nom.
V- UNE POSSIBLE INCROYANCE?
L'athéisme n'existait pas mais le doute devait exister.
Prenons l'exemple du texte de la femme du Grand Prêtre de Memphis qui n'y croit plus vraiment ou les textes du Chant du Harpiste.
Si on a un doute, il y a dislocation de la société, désolidarisation des croyances.
VI- QUAND LA RELIGION S'ÉTEINT
Tout se fait progressivement. La foi bascule vers autre chose mais ne meurt pas.
On assiste à une dérive iconographique.
. Le masque de Pébôs (IIème siècle ap. JC)
L'épitaphe est en grec. Le graphisme s'éloigne des représentations pharaoniques. Une culture intruse s'approprie l'iconographie pharaonique.
. L'atelier d'Anubis sur un suaire du début du IIIème siècle de notre ère.
Un égyptien hélénisé est guidé par Anubis vers l'au-delà, mais la scène ressemble plus à une arrière-boutique d'apothicaire!
. La scène de la déesse Nout dans le sycomore qui désaltère le défunt évolue vers des scènes autour d'un chadouf, voire d'une fontaine.
. Citons aussi l'évolution de la représentation d'Isis.
. À Louxor, les prêtres ont quitté le temple et l'ont abandonné aux militaires qui y célèbrent le culte de l'empereur.
On est passé de la religion pharaonique au culte de l'empereur puis à une chapelle chrétienne et enfin une mosquée.
De religion en religion, une permanence de la foi se manifeste dans un même lieu.
II- Une anastylose des mythes- 1 octobre 2018

I- QU'EST-CE QU'UNE ANASTYLOSE?
Le terme d'anastylose est utilisé en architecture et en archéologie à propos de monuments ruinés dont il reste des vestiges et autour desquels on a trouvé des pierres tombées utilisées pour remonter le monument afin de donner une idée de ce qu'il fut par le passé.
Un exemple en France: le château de Pierrefonds restauré par Viollet-le-Duc, un exemple qui n'est pas à suivre puisque car il y a plus d'imagination que de réalitédans le résutat final.
En Égypte: le complexe funéraire de Djéser où la Cour Jubilaire a été reconstituée par J.P.Lauer, de façon incomplète volontairement. La colonnade d'entrée du complexe a elle été complètement reconstituée car on avait assez d'éléments pour le faire. Les pierres qui complètent l'ensemble ont été taillées dans la même carrière que celle utilisée pour le monument antique: c'est une règle de l'anastylose.
-Pourquoi parler d'anastylose en ce qui concerne les mythes?
On ne dispose pas vraiment de mythe écrit de bout en bout. On a des textes littéraires qui mettent en scène les dieux. Les mythes se reconstituent pierre à pierre à travers les textes préservés.
II-LA GRANDE COSMOGONIE D'EDFOU
C'est un exemple d'anastylose de mythes par les Égyptiens eux-mêmes. Il s'agit d'un texte complet mais la totalité de celui-ci a été segmenté en plusieurs chapitres gravés un peu partout dans le temple. Pour pouvoir le lire, il faut procéder à une anastylose et une fois reconstitué, il s'agit d'un patchwork de textes d'époques différentes comme le prouve la grammaire. Le clergé a été puisé dans différentes sources pour en faire un ensemble.
III-LE MYTHE DE LA DÉESSE LOINTAINE
Il s'agit là d'un exemple d'anastylose de mythe par les égyptologues, la première et la plus ancienne.
Le démiurge crée dans un premier temps le monde organisé où vivent les dieux et les hommes. Une partie de l'humanité se révolte ce qui entraîne une rétorsion du démiurge qui envoie la déesse lionne massacrer les révoltés. Mais ivre de sang, elle commence à massacrer toute l'humanité et le démiurge veut l'arrêter. On broie donc avec une meule du grain pour fabriquer la bière et de l'ocre pour la teinter en rouge afin de faire croire à la déesse qu'il s'agit de sang. On enivre ainsi la déesse qui en oublie sa mission et on sauve l'humanité.
À la suite de cela, les dieux se séparent des hommes et montent au ciel, alors que les hommes ont la charge de diriger le monde en échange de rites.
La déesse humiliée est partie en Nubie mais étant l'œil solaire, elle doit être ramenée. On envoie donc un sage et un "malin", un singe (Thot) qui la ramènent en Égypte.
Le texte hiéroglyphique classique est corroboré par un texte démotique qui est la traduction en langue tardive d'un texte de l'époque ramesside.
La déesse lointaine et le singe peuvent être remplacés par d'autres divinités. À Esna, la déesse lionne est remplacée par Menhit qui est amadouée par la danse et la musique.
Quand la déesse lionne revient en Égypte, elle est accueillie avec liesse, danse et musique et elle se transforme en Hathor.
Ceci est illustré par un monument du Louvre: Hathor aux formes multiples où on voit tous les aspects de la déesse dangereuse qui se transforme en déesse avenante.
Au centre, la vache Hathor encadrée d'un côté par la déesse lionne et de l'autre par une déesse surmontée d'un sistre. Sous le mufle de la vache, un cobra à tête humaine qui en écriture ptolémaïque signifie L'inconnaissable, peut-être pour indiquer qu'il existe une partie inconnaissable de la déesse.
Les mythes égyptiens ne sont pas refermés sur eux-mêmes. On peut trouver d'autres mythes qui viennent s'agréger pour former un ensemble plus vaste.
-Une histoire de meule.
La meule est utilisée pour moudre le grain et l'ocre qui servent à enivrer la déesse lionne.
Pourquoi y-a-t'il une meule votive dans la tombe de Toutankhamon alors que les personnes chargées de la mouture des grains font partie des classes les plus humbles?
Au Nouvel Empire, dans certains mobiliers votifs, des personnages importants sont représentés en train de moudre. Le texte explique qu'ils écrasent les ennemis. Le défunt se pose en annihilateur des ennemis cosmiques du démiurge.
Un défunt, grand prêtre de Memphis est représenté en train de moudre et est bouclé.
Or lors de la révolte de l'humanité il est dit que c'est une femme bouclée qui mout le grain et l'ocre destinés à la déesse lionne, ce faisant on arrive à la mention d'un personnage "le bouclé". Par la présence même de la meule, le défunt est représenté comme dénué de fautes et il contribue à la destruction des ennemis cosmiques. Il peut ainsi se rapprocher du démiurge solaire.
La représentation d'une simple meunière: la meule est peinte en ocre rouge, couleur de la matière de la meule, le quartzite qui évoque la couleur du sang.
IV- LE MYTHE DE "CRACHER SUR l'ÉPAULE"
Dans des textes on retrouve la mention "Le jour de cracher sur l'épaule" lors d'une fête accompagnée d'un rite. En fait cette épaule est celle de Thot. Thot étant un dieu lunaire, cette épaule est le croissant lunaire. À un moment cette épaule disparaît, c'est la lune qui disparaît lors de la lune noire.
Sur les représentations de Thot sous forme d'ibis, l'épaule de Thot est le rebord de l'aile.
Thot ressoude son épaule en crachant dessus car le crachat contient des enzymes cicatrisantes.
Ces phases lunaires engendrent tout un tas d'iconographie.
Sur un cartonnage de la fin de la période ptolémaïque conservé au Musée d'Alexandrie, sont représentés: à l'ouest la lune naissante sous la forme de Apis, à l'est la lune finissante sous la forme de Mnévis et entre les deux le scarabée solaire qui pousse le soleil naissant.
Autre allusion: Osiris et le dernier croissant. Dans un texte tardif Osiris vogue sur le Nil jusqu'à l'officine d'embaumement où il doit être momifié. Un crocodile lui arrache le bras gauche c'est à dire le dernier croissant de lune. Il demande à ce qu'on lui ramène son bras car il est essentiel à sa momification. En effet la lune noire est la période d'embaumement.
Sur un relief de Philae, le premier croissant de lune est séparé de la lune sombre par 18 étoiles. Or un texte dit qu'au lever héliaque de Sirius, celle-ci a 18 décans devant et 18 décans derrière. 18 marque donc un équilibre médian.
Au temple d'Esna, un terme peut être traduit par "les 2 luminaires" qui sont en fait le bras droit et le bras gauche.
On voit qu'on a une transposition du mythe lunaire de Thot à Osiris.
Sous forme de bronzes tardifs, on a des représentations d'Osiris-lune portant le disque et le croissant lunaire ainsi que la couronne atef.
Dans le papyrus médical du Louvre E32847 : Pour guérir une tumeur "Son épaule a été mise à l'écart...Cracher sur le haut du bras". C'est une allusion directe au mythe, alors qu'on est dans un contexte profane.
V- LE MYTHE DE L'INCESTE FILIAL
L'inceste filial a longtemps été rejeté par les égyptologues pour des questions de morale.
Par ailleurs, il n'est connu que par des textes religieux et nul doute que cet acte, s'il existait vraiment, était certainement réprouvé sévèrement par les Égyptiens.
Alors pourquoi ce mythe?
Une représentation de Amon-Rê-Taureau-de-sa-mère auquel le roi offre des laitues. Nous sommes dans un contexte divin de succession entre père et fils. Les dieux ont régné sur Terre avant les hommes selon une succession dynastique. Chaque règne divin se termine par la révolte de l'humanité et l'interim est assuré par l'épouse du dieu. Le fils "entreprend" alors sa mère car pour q'un fils succède à son père, il doit devenir son propre père.
Les dieux génésiques sont très anciens comme le prouve Le colosse archaïque de Min de Coptos de l'époque prédynastique qui est resté dans le temple jusqu'à une période tardive. Autre exemple: les statuettes prédynastiques avec des étuis phalliques.
VI- UN MYTHE EN PERPÉTUELLE CONSTRUCTION : OSIRIS
Osiris apparaît tardivement. La première attestation connue se trouve sur un fragment provenant du temple haut de Djedkarê (Vème dynastie) où il est l'image même de l'ancêtre royal défunt.
Osiris étant un vrai roi, il doit avoir une tombe. À partir de la XIIème dynastie, on pense que c'est la tombe de Djer (3ème roi de la Ière dynastie).
On voit donc la progression: Osiris a été créé, on lui a assigné une tombe. On peut ensuite mentionner les vases cordiformes du culte abydénien (fin XVIIIème dynastie- époque ramesside): certains portent un petit texte où il est question de la régénération du corps osirien.
Représentation du reliquaire abydénien d'Osiris qui servait à conserver la tête d'Osiris (retrouvée par Horus et Thot après que le corps d'Osiris ait été dispersé). La tête est le symbole de la vie et de la renaissance, ainsi Khnoum commence à façonner les hommes par la tête.
Un ouchebti acéphale: l'absence de tête s'explique par le fait que nous sommes dans une période d'invisibilité, la période de momification. Puis un masque sera posé pour redonner une visibilité ritualisée à l'ensemble du corps.
L'érection du pilier djed signifie ramener à la vie. L'image du pilier djed est antérieure à l'existence d'Osiris puisqu'elle remonte à la première dynastie.
Une amulette représentant Osiris dont la tête est le pilier djed couronné de la couronne atef.
Enfin un dernier élément tardif: un simulacre de momie osirienne qui bénéficiait d'un rite au cours duquel elle était enterrée dans une catacombe.
Les catacombes osiriennes de Karnak comptent 720 niches. Elles datent de Ptolémée IV (vers- 221). Si on ajoute 720 années on arrive autour de 500 après J.C: les Égyptiens n'imaginaient pas que leur histoire puisse finir.
La religion osirienne a déteint sur toute la religion égyptienne pour devenir le symbole de la vie dans l'au-delà pour tout le monde selon un processus qui s'est affiné et enrichi au fil des siècles.
Étape finale: un Osiris renaissant sur un cartonnage de momie d'époque romaine.
III- Une histoire mythifiée- 4 octobre 2018

Pourquoi l'histoire serait-elle mythifiée?
L'histoire telle que nous la connaissons n'a pas existé en Égypte ancienne. Il n'existait pas d'histoire linéaire à partir d'un point 0.
En effet l'arrivée au pouvoir d'un nouveau pharaon correspondait à l'an 1. On avait donc une succession de petites histoires, de temps historiques morcelés. Le temps historique était centré sur la personne royale.
Quelle conscience avaient-ils du temps historique?
I- LES SIGNAUX DU TEMPS HISTORIQUE
- La Pierre de Palerme gravée à la fin de la Vème dynastie, Ancien Empire.
L'histoire s'y organise autour du roi. On a des cases limitées par le signe de l'année, chaque case correspondant à une année du règne, dans laquelle on inscrit ce qui est considéré comme les évènements majeurs de l'année: les tournées d'inspection royales, la construction de bâtiments religieux, la fabrication de statues divines, la hauteur de la crue du Nil, cette dernière étant le seul élément récurrent.
Le modèle de ces cases se retrouvent sur des tablettes datant du règne de Djet et de Qaâ sur lesquelles on a le signe de l'année, le nom du roi et les évènements majeurs comme la production d'huile (alors produit précieux).
- Le papyrus royal de Turin énumère tous les règnes depuis la création du monde donc on a les dynasties divines et pour lesquelles on a leur durée de règne en année. Pour les rois terrestres on a leur nom et la durée de règne. Manéthon a dû s'inspirer de ce genre de listes.
Ce qui est important est la succession des rois, l'évènementiel n'avait pas sa place. Ces listes devaient être un aide-mémoire
- La liste royale du temple de Séthi Ier à Abydos présente une suite de rois depuis Ménès, le fondateur de l'état égyptien et un choix de 76 rois qui ont précédé Séthi Ier. Nous sommes dans une commémoration ancestrale: le roi se pose comme l'héritier de tous les rois.
Quelque soit la liste il est à remarquer qu'un personnage manque: Akhénaton considéré comme l'ennemi absolu de l'Égypte et des dieux égyptiens. Alors que même les Hyksos pouvaient parfois être présents. Ce qui est en jeu est la mémoire théologique: les Hyksos adoraient Seth et étaient donc "acceptables"contrairement au pseudo-monothéiste Akhénaton.
- La Chambres des Ancêtres du temple de Karnak, érigée par Thoutmosis III, commémore ceux qui l'ont précédé sur le trône et qui ont œuvré dans le temple.
Tout ceci montre qu'il y a une continuité, certes différente de la notre, une continuité immuable où l'évènement historique n'a presque pas de place.
- Une liste royale dans une tombe privée de Memphis met en évidence le culte mémoriel de l'ancestralité royale par les fonctionnaires de l'administration.
- La conscience de l'évolution de la langue à travers les siècles est montrée dans un texte littéraire recopié par un écolier de Deir el-Medineh. Cet exercice date du XIIème siècle avant notre ère mais est écrit dans une langue de 800 ans antérieurs et dans une écriture du Moyen Empire. Il y avait un cursus unifié de l'enseignement: un scribe doit être capable de lire tous les écrits antérieurs à sa propre vie.
II- LE ROI DANS LA CONTINUITÉ DIVINE
Le roi est un successeur des dynasties divines, il doit donc être né de façon divine.
- Scène de théogamie du temple de Louxor: le roi régnant Aménophis III est supposé être né d'une transformation de son père Thoutmosis IV investi par Amon qui le remplace lors de l'union avec sa mère. Aménophis III est donc issu de l'union physique avec un dieu.
- Dans une tombe de la XVIIIème dynastie, représentation de la fête jubilaire d'Aménophis III: Aménophis III est assis et à son côté se trouve Hathor, la déeese légitimante principale.
Quand il y a eu une rupture dynastique, c'est Hathor qu'on vient adorer pour se faire légitimer comme le montre la Chapelle de Montouhotep II à Dendera où Hathor est présente face au roi.
III- LES GESTES ROYALES
Ce sont des récits mettant en scène le roi dans un évènement donné afin de le glorifier.
- La bataille de Qadech (version du Ramasseum) montre une partie textuelle courte et une partie iconographique monumentale. Ces deux parties ne sont pas fortement liées dans leur disposition sur les parois du temple mais sont toujours gravées à l'extérieur et donc visibles par toute personne.
Le roi est représenté en majesté, ainsi que les ennemis vaincus et la charerie égyptienne victorieuse.
Ce qui importe ici est de montrer la puissance du roi et la foudroyante victoire, ce qui ne correspond pas forcément à la vérité historique.
- Autre scène d'héroïsation sur le temple d'Esna, d'époque romaine, où un paquet d'ennemis demande grâce au roi qui empoigne à lui tout seul les têtes de toute une armée.
Les scènes de défaite ne sont jamais montrées. Cette héroïsation définitive peut sembler être une manipulation de l'histoire à nos yeux mais pas à ceux des Égyptiens. Il s'agit de ramener l'histoire évènementielle des souverains dans le cadre de la théologie qui positionne le roi au centre: il ne peut que vaincre les forces hostiles.
- Les listes des pays vaincus servent à représenter la domination royale sur le monde connu.
- À côté de cette histoire héroïsée on a parfois des images réalistes de la guerre qui ont une importance économique. Lors des victoires on ramène butin et prisonniers et on représente la destruction des bâtiments et des arbres ennemis afin que les cités ennemies ne se reconstruisent pas trop rapidement.
IV- L'HISTOIRE DU PARTICULIER
Un particulier écrivait-il son histoire? Les aventures personnelles sont-elles de l'histoire?
- La mésaventure de Ouerrê (Vème dynastie)
Ce prêtre avait pour fonction de précéder le roi lors de cérémonies religieuses afin d'éloigner les profanes. Un jour, le sceptre du roi frappe ses jambes par accident. Cet incident est très grave aux yeux des Égyptiens car ce sceptre sert à massacrer les ennemis. En heurtant les jambes de Ouerrê, le roi pourrait signaler à la cour qu'il est promis à la vindicte royale. Ouerrê lève le doute en disant que le roi a fait établir un décret qui précise que son intégrité est entière et en faisant graver ce décret dans sa tombe.
- Les voyages de Herkhouf (Règne de Pépi Ier- VIème dynastie)
Herkhouf ramène un nain d'un de ses voyages. Le roi lui envoie une lettre pour lui demander d'en prendre soin. Cette lettre est retranscrite sur les parois de sa tombe.
On voit ici que la "petite" histoire est importante, même si elle est particulière, elle ressort du domaine royal.
- Sur les statues de particuliers, les textes sont des mises en valeur de la personne, de sa qualité morale et éthique.
- Sur une stèle de l'époque ptolémaïque, une dame revendique un "discours original". Elle insiste sur son exemplarité. Ici le roi a disparu et elle se réfère à son mari.
V- LA QUÊTE DU PASSÉ
Où cherchait-on les archives du passé?
- L'adresse de Ibi, majordome de la Divine Adoratrice d'Amon (XXVIème dynastie): il demande aux visiteurs de recopier les textes qui sont inscrits dans sa tombe et de les diffuser.
Les cimetières étaient un lieu de mémoire. La tombe est un lieu de mémoire pour soi-même et comme enseignement pour les générations à venir.
Dans ce "tourisme" mémoriel, un personnage se distingue: Khamouas, fils de Ramsès II. Cet érudit a restauré d'anciens monuments et allaient chercher les informations dans les cimetières.
VI- LE TEMPS DES DIEUX
Les années de règne des dieux étaient-elles des années terrestres?
- Dans le Mythe d'Horus, l'an 363 de Horakhty décrit une bataille qui se déroule entre le 1er et le 27ème jour du premier mois du printemps.
On remarque que le premier jour de ce mois correspond au 121ème jour de l'année et que 363 en est un multiple (121x3, 3 étant la marque du pluriel indéfini). Mais c'est aussi le jour de la Fête du faucon sacré, son intronisation qui met fin à un chaos.
- La stèle de l'an 400 ( Règne de Ramsès II) mélange les temps divin et terrestre. Elle commémore l'adoption par les ancêtres de Ramsès II du culte personnel familial du dieu Seth 400 ans plus tôt. Or c'était alors le règne des Hyksos. Ramsès II ne se réclamait-il pas ainsi d'une souche pas tout à fait égyptienne?
VII- RACONTER UNE HISTOIRE-RACONTER l'HISTOIRE
- L'enseignement d'un roi pour Mérikarê: nous sommes à la première période intermédiaire, une période de chaos intense. Le roi se reproche qu'on ait pillé les tombes. On a ainsi atteint les mémoires collectives qui se manifestent dans les tombes et l'héroïsation de l'histoire peut se perdre.
VIII- UNE HISTOIRE MYTHIFIÉE?
- Le dogme du sema-taouy: la réunion des Deux Terres, le royaume du sud et le royaume du nord sont réunis sous l'autorité d'un roi unique. Il s'agit d'une fiction historique qui s'appuie sur la Palette de Narmer qu'on peut interpréter différemment. En effet sur cette palette, la réunification n'est à aucun moment présente. Le roi porte la Couronne blanche d'un côté et la Couronne rouge de l'autre, mais jamais la double-Couronne. Le secteur géographique est différent selon les faces. Au sud on doit se débarrasser de peuplades venus d'ailleurs, au nord la révolte est déjà matée et on décapite les révoltés.
- La chronique démotique rédigée au IIème siècle avant notre ère. C'est une histoire théologique et messianique: on y dit que certains rois ont bien agi mais qu'on a fini par mal agir et que le malheur final va finir par arriver avec la venue des Perses et des Grecs. Seul le retour aux fondamentaux cultuels peuvent mettre fin au malheur.
- Pax Romana (Edfou): un homme est en adoration devant deux dieux qui se serrent la main. Nous avons la même scène à Dendera où l'Empereur Claude exige la concorde entre les deux dieux représentés: Horus et le Crocodile d'Ombos qui sont deux ennemis irréductibles, afin de réconcilier les communautés religieuses en cette époque troublée (42 ap. J.C.)
- Le temple de Philae porte une inscription qui héroïse Bonaparte
Selon le "Livre du Temple", le temple idéal se doit d'être le gardien des décrets royaux et ses parois doivent recueillir les moments d'histoire.
IV- Une si mythique écriture- 8 octobre 2018

L'écriture égyptienne a de tout temps été mythique, déjà à l'époque où les Grecs et les Romains visitaient l'Égypte du fait de cette succession de signes représentant des animaux, des êtres humains. Même après son déchiffrement par Champollion car elle demeure particulière n'ayant jamais quitté son caractère pictographique.
I- LES ORIGINES
Elle sont difficiles à situer. L'écriture hiéroglyphique a été inventée de toute pièce et est le fruit d'une lente évolution qui s'est faite sur plusieurs siècles car il a fallu adapter la langue écrite et la langue parlée. Ainsi les premiers textes rédigés connus (Les Textes des Pyramides) viendront plusieurs siècles après l'invention de l'écriture hiéroglyphique.
- Une pseudo écriture: sur des tablettes de la période prédynastique trouvées à Abydos, qui devaient être accrochées à des récipients et qui en décrivaient le contenu. Mais ces signes sont-ils déjà une écriture ou de simples signaux? Il semble qu'il s'agissait de symboles qu'on ne peut prononcer et qui donnaient une idée du contenu des récipients.
- Un premier usage de l'écriture avec les noms royaux de la période prédynastique: les premiers signes sont des noms royaux inscrits dans des serekh, tracés au pinceau ou ciselés.
Le hiéroglyphe et le cursif ont été créés en même temps et se sont progressivement séparés un peu plus tard.
On a affaire là à des éléments purement administratifs.
- Une deuxième étape a été la conquête de l'espace de l'écrit: pour que l'écriture soit lisible, elle doit être organisée en lignes et colonnes. Les premières tentatives ne répondent pas à ce critère.
Ainsi sur les déroulés des sceaux cylindres, les signes sont jetés au hasard.
Sur les stèles funéraires archaïques de la première dynastie où sont inscrits le nom du propriétaire et son titre, l'ordonnancement en lignes et en colonnes n'est pas encore acquis.
Sur des stèles royales de la deuxième dynastie, l'organisation de l'espace est codifiée. À partir de ce moment-là la rupture se fait entre la documentation administrative et l'écriture monumentale royale hiéroglyphique qui rentre définitivement dans le domaine théologique.
II- QU'EST-CE QUE L'ÉCRITURE?
Les Égyptiens l'ont nommée "Paroles divines ". L'écrit est issu du langage divin parlé par les dieux. Leur façon de parler était une émission de voix et un écrit.
La parole est créatrice, toutes les réalités de la création peuvent devenir des signes d'écriture et il n'y a ainsi aucune limite logique du nombre de hiéroglyphes.
Les hiéroglyphes représentent l'immensité de la création et les hommes les représentent car ils sont présents dans la nature.
- Thot a-t-il inventé l'écriture? Non puisque ce sont les dieux eux-mêmes qui l'ont inventée. Mais le rôle de Thot a été de transmettre la matérialité des hiéroglyphes aux hommes: on passe des paroles divines prononcées par les dieux aux hiéroglyphes tracés par les hommes.
Avant de passer à l'acte d'écrire, il fallait faire une libation en l'honneur d'Imhotep, un des maîtres de l'écriture, architecte de la pyramide de Djeser, divinisé comme dieu de la médecine et de l'écriture et fils de Ptah.
- Les hiéroglyphes représentent un univers sans limite et la tendance était pour les graveurs de hiéroglyphes d'en utiliser un maximum, comme sur les temples tardifs d'Esna ou d'Edfou qui contiennent des textes de hiéroglyphes extrêmement variés, comme si les prêtres voulaient les immortaliser sachant que leur culture allait s'évanouir.
-Les hiéroglyphes sont soumis à l'histoire: ainsi le hiéroglyphe du char attelé n'apparaît qu'à partir du début de la XVIIIème dynastie.
- Les hiéroglyphes sont soumis à l'environnement: ainsi le hiéroglyphe d'un attelage. On est dans un univers où on peut imaginer ses propres hiéroglyphes. Il peut ensuite passer dans le langage commun ou être un hiéroglyphe unique.
L'exemple d'un signe unique créé spécialement pour un couple qui avait émis le vœu d'être réuni dans le même sarcophage après la mort et qui prend la forme de deux momies collées l'une à l'autre.
- Les hiéroglyphes peuvent être utilisés comme motif décoratif: plus on a de l'espace disponible, plus les hiéroglyphes peuvent présenter des détails.
Exemple de la titulature de Ramsès IV au temple de Khonsou ou du nom de Ramsès II sous forme de statue (Jardin du Musée du Caire).
III- QU'EST-CE QU'UN HIÉROGLYPHE?
Le mot hiéroglyphe s'écrit avec le signe "tit".
Ce signe est issu de la marque faciale du faucon d'Horus qu'on retrouve également sur l'œil oudjat. Cette marque a été comprise comme une marque de maquillage qui se rajouterait à l'œil ordinaire. L'œil parfait doit être complet et intact avec une marque de maquillage.
Le signe "tit" est un signe de maquillage, c'est donc un tracé, quelque chose qu'on écrit.
C'est le même signe qui a été utilisé pour désigner les signes hiératiques.
IV- JOUER AVEC LES SIGNES
- Senmout, favori d'Hatchepsout, s'est vanté d'avoir inventé des hiéroglyphes, une composition personnelle représentant le prénom d'Hatchepsout "Maât-ka-rê". C'est une création ex-nihilo qui obéit à un principe de base de l'écriture qui permet d'agencer plusieurs signes existants pour en fabriquer un nouveau. Ce signe ressemble à une amulette du Louvre qui représente les pattes d'un rapace ailé supportant un œil et tenant non pas le signe "ka" mais un nymphéa bleu (d'où est sensé jaillir le soleil à son lever).
- L'écriture énigmatique:
Sur une stèle du Louvre (C65) un texte comporte 4 lignes écrites en écriture énigmatique avec des signes inusités. Mais ces lignes peuvent être déchiffrées, par déduction, par des égyptologues chevronnés. Cette écriture énigmatique est différente de l'écriture cryptographique qui elle n'est destinée qu'à un public possédant une clef pour le déchiffrage. L'écriture énigmatique n'empêche pas la lecture, il s'agit plus d'un défi.
V- APPRENDRE LES HIÉROGLYPHES
On ne dispose que de peu d'indices.
Concernant l'écriture cursive, on sait qu'il existait des écoles (comme au Ramasseum).
Pour l'écriture hiéroglyphique, on a retrouvé une tablette (au MET) écrite par un novice et qui finit par un cafouillage de signes par manque de place.
Il fallait en effet apprendre la mise en page en quelque sorte, ce qui ne devait pas être aisé sur les parois monumentales.
On sait que les signes étaient tracés à l'encre puis gravés mais on n'a pas de traces de l'apprentissage proprement dit.
- La tombe école: la tombe était un lieu de mémoire et d'enseignement.
Dans une tombe d'Assiout, on a trouvé sur ses parois des bouts de textes littéraires tracés en exercice.
La tombe était un lieu de transmission de la mémoire et de la culture.
Dans une tombe thébaine, on a trouvé des tablettes d'exercice littéraire.
Dans une tombe d'Assiout, ses inscriptions ont été étudiées et recopiées sur papyrus près de 20 siècles après.
- Les femmes savaient-elles écrire? Les indices sont fragmentaires.
Dans l'administration, ce sont des hommes qui œuvrent. Par contre dans les clergés des déesses, il devait y avoir des femmes qui savaient écrire. On suppose que la partie masculine de la famille apprenaient alors aux femmes à écrire. Mais il s'agit là d'une exception sociale.
- Le Livre de Thot est connu par différents fragments.
Cette composition est connue par des manuscrits soit en hiératique, soit en démotique. Mais la grammaire montre que ces documents sont plus anciens et datent peut-être du Nouvel Empire.
Il nous apprend le parcours initiatique qui permet de comprendre le sens profond des signes.
VI- LE POUVOIR DES HIÉROGLYPHES
Le hiéroglyphe est issu des dieux et peut être bénéfique ou dangereux. Son pouvoir demeure entier même dans une phrase inintelligible.
- Des hiéroglyphes qu'on ne peut effacer dans une tombe: dans la tombe de Nefermaât, celui-ci se vante d'avoir "fait ses dieux en une écriture qui ne peut s'effacer".
- La statue guérisseuse ou boire le pouvoir des hiéroglyphes: on verse l'eau sur cette statue, l'eau ruisselle sur les hiéroglyphes, on la recueille et on la boit car l'eau s'est imprégnée du pouvoir des hiéroglyphes.
- L'effet protecteur des hiéroglyphes: dans le temple de Ptah à Karnak, le roi officie sous la protection de Ptah
- L'aspect négatif: il se traduit par la mutilation de certains hiéroglyphes: oiseau sans pattes, serpent coupé.
VII- LA FIN DES HIÉROGLYPHES
Ce sont des caractères sacrés issus du divin. Leur destin est lié à la religion.
À l'époque lagide, on voit une perte de contact des hiéroglyphes avec la réalité de la nature ( le hiéroglyphe de la pintade ressemble plutôt à un coq). L'écriture s'éloigne car la religion commence à s'effacer.
- Le 24 août 394: dernière inscription hiéroglyphique datée, inscrite sur le temple de Philæ, lui-même le dernier temple à avoir eu un culte polythéiste en exercice.
La date n'est pas écrite en hiéroglyphe mais en démotique, cela veut dire que ce moment de l'histoire n'appartient plus aux hiéroglyphes.
V- Les égyptologues face à l'autre- 11 octobre 2018

I- L'EMPREINTE DE L'OCCIDENT
Champollion déchiffre les hiéroglyphes en 1822, par conséquent l'égyptologie devient une discipline occidentale qui regarde trop souvent à travers les verres déformants de sa propre culture. Les outils conceptuels universaux sont remis en question.
Prenons l'exemple de la pyramide du Louvre qui évoque l'Égypte à travers ce qui est le plus emblématique à nos yeux, mais ce ne sont que des formes dont on a détourné la signification puisqu'elle ne recouvre pas un tombeau.
Les pyramides de Gizeh intriguent depuis toujours. L'égyptologie a essayé d'y voir autre chose que du mystérieux et du sensationnel. Champollion le 8 octobre 1828 dit :"Ces merveilles ont besoin d'être étudiées de près pour être bien appréciées. Elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on approche...Il n'y a rien à faire ici...". Il s'y intéresse peu car ce qui lui importe surtout, peu d'années après le déchiffrement des hiéroglyphes, ce sont les textes et non l'architecture.
Dix ans plus tôt (1818) Belzoni est le premier occidental à pénétrer à l'intérieur.
En 1837, Behring est le premier à en faire une étude et Weiz découvre la même année le cartouche de Khéops.
II- LES PRÉJUGÉS
- Le président de Brosses (1709-1777), contributeur de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, ne perçoit aucun questionnement du monde chez les Égyptiens.
Il compare l'ancienne religion de l'Égypte avec la religion de la Nigritie (Afrique sub-saharienne) et plonge l'Égypte ancienne dans la barbarie traitant les Égyptiens "d'une foule d'hommes stupides et grossiers".
Ce mépris est hérité des auteurs classiques grecs et romains qui s'effraient de voir des dieux à tête animale.
- Vivant Denon (1747-1825) accompagne la Campagne d'Égypte. Il constate que l'Être Suprême était partout représenté par les emblèmes de ses qualités. Le dieu suprême créé par les révolutionnaires oblitère la religion égyptienne.
- Adolf Erman (1854-1937) a créé le dictionnaire de la langue égyptienne. Il discerne une barbarie dans la religion. Il pense que c'est un arrière-plan derrière lequel doit se cacher quelque chose de plus élaboré, de plus noble. Nous avons encore la tentation de ramener l'Égypte ancienne à nos propres critères.
III- C'EST LA FAUTE À PLUTARQUE!
Plutarque (46-125) expose en détail le mythe osirien qui développe une vision plus grecque qu'égyptienne. Son texte a longtemps servi de filtre déformant.
Prenons l'exemple d'oushebtis (publiés en 1903) qui sont des grecs égyptianisés.
Osiris Serapis représente un mélange des cultures ce qui donne l'impression que la culture grecque s'assimilait facilement à la culture égyptienne et donc que l'Égypte ancienne n'était pas si différente de nos modes de pensée.
Le culte de Serapis a été créé au début à destination du peuple grec d'Égypte à l'époque ptolémaïque sur la base du taureau Apis.
Sur une stèle du Louvre un défunt est face à Osiris mais la dédicace est en grec, le défunt s'adresse à Serapis en fait.
On voit que se fait là un amalgame.
Une religion est porteuse d'une charge identitaire forte mais elle peut s'estomper. On est passé de la culture pharaonique avec la religion égyptienne classique puissamment représentée à la symbiose hellénisée puis à l'Égypte chrétienne et enfin à l'Égypte islamique.
Le déchiffrement des hiéroglyphes fait que les cultures contemporaines se sont immiscées inconsciemment dans l'identité de la religion égyptienne classique et nous n'en sommes pas toujours conscients.
IV- LA TRADUCTION DES TEXTES LES REND-ILS IMMÉDIATEMENT INTELLIGIBLES?
Rien n'est moins sûr.
Prenons l'exemple du chapitre 151 des Textes des Sarcophages, chapitre de la table d'offrandes.
"Mon père Osiris a été satisfait de ses parts de natron. Il est devenu dieu à Nekheb". Ce texte ne signifie rien pour un non égyptologue même s'il est en bon français.
La table d'offrande se dit "hetepet" et a été satisfait "hetep": ce jeu de mots par assonance n'est pas gratuit. C'est le fils héritier qui parle. Il rappelle comment il a apaisé son père défunt mais aussi le vrai dieu Osiris.
"Ses parts de natron" signifie la quantitié convenable et non la bouchée car le natron est non comestible. Il est nommé ici "hezmen" et non "netjeri", son nom théologique: c'est le produit naturel qui est visé, ce qui est important dans ce contexte d'offrandes.
"Il est devenu dieu à Nekheb": lorsqu'Osiris meurt assassiné et dépecé, il va être dans sa phase d'invisibilité jusqu'à la momification. Il ne retrouve son caractère divin qu'une fois le rite de momification accompli or ce rite à besoin de natron.
Nekheb est la région de production du natron.
V- PEUT-ON MONTRER QUE LES ÉGYPTIENS CROYAIENT VRAIMENT EN LEURS DIEUX?
Richard Swinburne (1934- ) s'efforce de démontrer une probabilité du divin.
Appliquons les principes directeurs de cet auteur
- L'intelligibilité
Pour les Égyptiens elle passe par le texte qui n'était pas accessible à tous. Cela pose le problème de la maîtrise de la langue écrite en tenant compte de son évolution.
L'intelligibilité tient à la capacité de transmettre un message à un public non lettré.
Pour nous, c'est complexe car nous avons 35 000 vocables ce qui est peu, dont 70% ne sont connus que par moins de 10 exemples sur 3000 ans. Comment alors être sûr de la traduction des mots?
La grammaire est une création ex-nihilo de la culture occidentale.
- La cohérence
Le message doit être en adéquation avec la culture à laquelle il s'adresse et à chaque moment où il est formulé.
Prenons le cas des momies animales. Ce sont des éléments du culte populaire au départ récupérés par le clergé ensuite.
-Une véracité acceptable
Les éléments de la théologie sont des choses appartenant à la nature, observables.
Il doit donc y avoir une correspondance entre la théologie et la réalité de la nature.Nous ne pouvons pas franchir cet obstacle car nous avons d'autres explications pour les phénomènes naturels.
Il nous reste l'empathie ethnologique, outil de prise de distance avec sa propre culture pour en comprendre une autre.
Il faut intégrer que les notions de dieu et de sacré, que nous ne sommes pas toujours sûrs du sens des mots, que ces mots ne sont pas toujours transposables dans nos langues.
Ce présupposé culturel est-il accessible?
Aucun dictionnaire ne s'est posé ces questions de méthode. Les égyptologues ont essayé d'expliquer les mythes mais il en reste beaucoup à reconstruire.
On peut construire un ensemble assez vaste de mythes par juxtaposition de petits mythèmes comme un jeu de dominos.
VI- L'ÉGYPTOLOGIE A-T-ELLE ENCORE UN AVENIR?
EN dehors de ce qui sert à communiquer avec le grand public (musées-expositions-fouilles avec couverture médiatique) la recherche fondamentale est essentiellement livresque et donc perçue comme élitiste.
L'égyptologie est une discipline orchidée: une discipline rare, décorative mais guère rentable.
Si l'État se désengage de ce qui est trop peu visible, le risque est que l'égyptologie se réduise à la valorisation de certaines technologies. En France le mécénat de pur intéressement intellectuel est rare.
L'égyptologie deviendra-t-elle une maladie rare de notre société financée par des chaînes de télé de charité?
Le travail de recherche sur le non sensationnel risque de tomber dans l'inexistence m^me si l'égyptologie fait partie de notre mémoire et de notre histoire collective.